Abdellatif Moustekfy est un professeur de droit constitutionnel et de sciences politiques à l’Université Hassan II de Casablanca.
Il a décidé, à l’instar de nombreux professeurs universitaires, avocats, journalistes, architectes et médecins de se présenter aux prochaines échéances électorales, prévues le 8 septembre prochain, sous l’étiquette USFP. Un choix qui n’est pas le fruit du hasard puisque cette formation politique a toujours été un foyer pour les intellectuels et les artistes qui pensent qu’il est de la responsabilité de l’intellectuel d’agir vis-à-vis des affaires de la cité et de se mêler de ses problèmes, de ses maux et de ses attentes. Abdellatif Moustekfy soutient que la relation entre l’intellectuel et le politique est étroite tout en précisant que cette liaison trouve sa manifestation la plus absolue dans la figure de «l’intellectuel organique». Un concept conçu par le philosophe italien Antonio Gramsci qui traduit l’idée que «l’organisation de la culture est «organiquement» liée au pouvoir dominant».
Pour Gramsci, ce qui définit les intellectuels, «ce n’est pas tant le travail qu’ils font que le rôle qu’ils jouent au sein de la société; cette fonction est toujours, plus ou moins consciemment, une fonction de «direction» technique et politique exercée par un groupe — soit le groupe dominant, soit un autre qui tend vers une position dominante». Pour notre interlocuteur, l’intellectuel organique est celui qui intègre l’action politique avec la pratique intellectuelle. Il représente, selon lui, une sorte de réservoir qui participe à la théorisation idéologique et à la prise de décisions. Pour lui, Mohamed Abed Al-Jabri est le modèle type de l’intellectuel qui a su réunir le politique et la pensée comme en attestent ses travaux relatifs à la pensée socialiste. Ancien membre actif de l’USFP, Al Jabri avait le mérite d’avoir participé à l’élaboration de la plateforme politique du premier parti socialiste au Maroc. Ex-membre du Bureau politique du parti de la Rose, il a alimenté le parti en idées modernistes, progressistes, le mettant en phase avec l’évolution de la pensée socialiste contemporaine. «Mohamed Abed Al Jabri a été de tous les combats politiques et intellectuels pour que le Marocain reconquière sa citoyenneté et pour que la société s’émancipe», témoigne son collègue et néanmoins grand ami Habib El Malki. «En tant que politique, le défunt est l’un des rares à avoir légué une impressionnante production éditoriale», a fait valoir Abdeddine Hamrouch, écrivain. Abdellatif Moustekfy a souligné, par ailleurs, que les idées du parti de la Rose et sa pensée politique ont toujours été présentées au sein de l’université. «Plusieurs professeurs et intellectuels usfpéistes ont marqué des générations d’étudiants et de chercheurs. Je fais partie de ces générations qui ont été imprégnées par les orientations idéologiques de l’USFP et fascinées par ses ténors. Des personnalités comme Abderrahim Bouabid, Fathallah Oualalou, Mohammed Elyazghi, entre autres, ont laissé une trace indélébile dans nos esprits, leurs discours et déclarations raisonnent encore dans nos têtes. Sans parler de la production intellectuelle (livres, articles, conférences…) engendrée par d’autres membres du parti», nous a-t-il rappelé. Cependant, estime notre source, des mutations importantes du champ politique ont chamboulé le paysage politique national et poussé plusieurs intellectuels à bouder la politique. Pis, ils se sont même désintéressés de la production intellectuelle sur la politique. « En effet, plusieurs phénomènes malsains (clientélisme, pouvoir de l’argent, népotisme…) ont altéré l’action politique et ont eu, pour conséquence, une désaffection politique et la propagation d’un discours politique populiste qui joue sur les sentiments et non sur la raison», nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre : «La pratique politique au niveau national a donné naissance dernièrement à l’émergence de professionnels de la politique qui font appel au pouvoir de l’argent pour cumuler les voix des électeurs. Et du coup, se présenter aux élections parlementaires s’est transformé en véritable opération financière qui exige de véritables moyens financiers. En d’autres termes, nous assistons depuis peu à une véritable mutation qui met en avant le pouvoir de l’argent et la priorité de l’économique sur le politique. Un changement qui n’est pas passé inaperçu puisque même le citoyen lambada croit aujourd’hui que toute candidature aux élections parlementaires n’est qu’un investissement dans un statut qui va permettre par la suite de jouir des faveurs que procure la fonction représentative comme en atteste le cas de certains parlementaires dont le train de vie a complètement changé après avoir accédé au Parlement». Concernant son engagement en tant qu’intellectuel dans les prochaines élections communales, notre interlocuteur estime que l’échelle communale est la plus représentative de la démocratie participative et offre l’occasion au citoyen de contrôler et d’évaluer son bilan. Un élu au niveau local est plus proche des attentes et des préoccupations des citoyens et plus exposé à un «vote sanction».
Hassan Bentaleb
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